La génèse de l’engagement Dutreil
La loi de finances pour 2000 (n° 99-1172 du 30 décembre 1999) avait introduit dans son article 11 une disposition visant à réduire les droits de mutation par décès, à concurrence de la moitié de leur valeur, les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale dès lors qu’un engagement collectif de conservation d’au moins 8 ans en cours au jour du décès, avait été pris par le défunt, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés.
Cette disposition était à l’époque entrée dans le code général des impôts par le biais d’un nouvel article 789 A. L’idée était louable mais elle manquait d’ambition dans la mesure où seules étaient concernées les transmissions d’entreprises par décès.
Il a fallu attendre la loi pour l’initiative économique du 1er août 2003 (n° 2003-721) pour que cette réduction des droits de mutation soit étendue aux donations entre vifs au travers de l’article 787 B du CGI. C’est ce que l’on appelle depuis l’engagement Dutreil puisque ce dispositif avait été élaboré par Renaud Dutreil qui était alors le secrétaire d’Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l’artisanat, aux professions libérales et à la consommation.
Depuis lors, le dispositif Dutreil a fait l’objet de nombreuses retouches législatives. Ainsi, à la faveur d’une loi du 2 août 2005, l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) a été portée à 75% de la valeur des actions ou parts transmises au lieu de 50%. On peut citer aussi la loi du 24 décembre 2007 qui a fait passer le délai d’engagement individuel de 6 à 4 ans. Ou encore la loi du 28 décembre 2018 (n°2018-1317) qui a abaissé les quotités d’actions ou de parts sociales devant faire l’objet d’un engagement de conservation (17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote s’agissant de titres non cotés) et qui a rendu le dispositif applicable à un associé unique au travers d’un engagement unilatéral, etc.
D’une manière générale, les révisions rédactionnelles du texte, louables pour certaines et contestables pour d’autres, ont conduit à rendre le dispositif Dutreil très complexe à appréhender. Pour autant, cette complexité ne doit pas être un frein à la mise en place d’un Pacte Dutreil lorsque les conditions le permettent et notamment en présence d’une holding.
Savoir « dutreiller » les parts sociales ou actions d’une holding
L’entreprise familiale prend souvent la forme d’un groupe comportant une holding détenant une ou des participations dans une ou plusieurs sociétés dites opérationnelles.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous nous intéresserons ici à quelques points d’attention qu’il conviendra d’avoir bien en tête avant de s’engager dans un pacte Dutreil portant sur les titres d’une holding.
Tout d’abord, il nous paraît utile de rappeler que l’engagement Dutreil s’inscrit, avant toute chose, dans une démarche de transmission. L’exonération partielle des DMTG est une conséquence de cette volonté de pérennisation de l’actionnariat de l’entreprise et non un objectif à atteindre. Avoir cette réalité à l’esprit permettra d’éviter de mettre en place un pacte Dutreil par pure convenance fiscale et risquer la rectification sur le fondement de l’abus de droit.
Compte tenu de la structuration de bon nombre d’entreprises familiales, il est assez fréquent que l’engagement Dutreil porte sur les titres d’une holding, laquelle détient le contrôle d’une société fille dont l’activité est de nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (ICAAL). Avant de s’engager dans un pacte Dutreil, il conviendra de s’assurer que la holding revêt bien la qualification de holding animatrice au sens de la doctrine administrative. Cette dernière constate qu’une holding est animatrice dès lors qu’elle a pour activité principale (i) la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et, le cas échéant (ii), à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.
On notera au passage que depuis la loi de finances rectificative pour 2022 un nouveau paragraphe « c bis » a été ajouté à l’article 787 B afin d’obliger la société dont les titres font l’objet de l’engagement Dutreil à maintenir son activité éligible jusqu’au terme de l’engagement individuel. Ainsi, une holding animatrice ne pourra se contenter de n’être animatrice qu’à la date de la transmission de ses parts ou actions : elle devra conserver son rôle tout au long de l’engagement Dutreil. Le législateur a ainsi refermé en la matière la brèche ouverte par la cour de cassation dans un arrêt du 25 mai 2022.
L’actif d’une holding est composé non seulement de participations dans une ou plusieurs autres sociétés dont l’activité est éligible au dispositif Dutreil mais parfois aussi d’une trésorerie qui peut être significative. Ainsi, il n’est pas rare que la holding exerce une activité dite mixte, à savoir d’animation et de gestion patrimoniale.
Dans ce cas, il faudra s’assurer que l’activité d’animation est prépondérante, sans quoi les titres de capital de la holding ne seront pas éligibles à l’exonération partielle des DMTG. Pour ce faire, il sera nécessaire de vérifier que la valeur de marché des participations représente plus de la moitié de l’actif réévalué de la holding ou bien que le chiffre d’affaires procuré par l’activité opérationnelle représente au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total de la holding. Toutefois, dans un arrêt de renvoi « Financière de Rosario » du 24 octobre 2022 (n°21/00555), la cour d’appel de Paris a admis que, s’agissant d’une holding animatrice, il convient d’examiner si les autres actifs qu’elle détient, qu’ils soient immobilisés ou circulants, sont affectés à l’activité d’animation. Ainsi, d’autres éléments d’actifs pourront éventuellement permettre de caractériser l’animation en tant qu’activité prépondérante de la holding. Il en va ainsi notamment d’actifs immobiliers détenus par la holding et mis à la disposition de la filiale opérationnelle ou bien encore de valeurs mobilières de placement ou de stocks gagés au profit d’un financement consenti à la filiale par exemple.
La valorisation des titres de la filiale opérationnelle détenus par la holding nécessitera bien souvent de faire intervenir l’expert-comptable auquel on confiera une mission d’évaluation. Cette étape est primordiale pour véritablement caractériser le caractère prépondérant de l’activité d’animation lorsque les actifs découlant de l’activité patrimoniale occupent une place significative au bilan de la holding.
Dès lors que l’activité d’animation sera considérée comme prépondérante, c’est la valeur totale des titres de la holding qui devrait être éligible à l’abattement de 75%. Il n’y aurait en effet pas lieu de retirer de cette valeur celle qui se rapporte à l’activité purement patrimoniale de la holding. Ainsi, une holding dont l’activité consisterait, de manière prépondérante, en l’animation de ses filiales, serait ipso facto assimilée à une société exerçant une activité éligible aux dispositions de l’article 787 B du CGI. Pour autant, en présence d’une activité mixte, la prudence pourrait inviter à opérer un retraitement afin de diminuer la valeur des titres de la holding de celle des actifs non affectés à l’activité des filiales opérationnelles…
Il est également important de veiller à ce que l’activité d’animation de la holding préexiste à l’engagement Dutreil. Une activité d’animation commencée trop peu de temps avant la signature d’un pacte Dutreil fragilisera la position du contribuable auquel il appartient, rappelons-le, de rapporter la preuve de l’animation effective de la holding en cas de contrôle de l’administration fiscale.
S’il advenait que la holding n’a pas la qualité d’animatrice, l’engagement Dutreil ne sera pas pour autant impossible. En effet, l’article 787 B du CGI s’applique également aux « titres détenus par une société possédant directement une participation dans la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement collectif de conservation (…) et auquel elle a souscrit. »
Dans ce cas, ce sont les titres représentatifs du capital de la filiale « opérationnelle » détenus par une, voire deux sociétés interposées qui feront l’objet de l’engagement Dutreil. Toutefois, cette configuration peut soulever certaines difficultés notamment au regard de la nécessité de voir l’entreprise en question dirigée par le donateur ou un des bénéficiaires de la transmission partiellement exonérée. Quid en effet en cas de décès du dirigeant exerçant une profession réglementée dès lors qu’aucun bénéficiaire de la transmission ne dispose des diplômes ou des habilitations professionnelles requises ? Pour pallier cette situation il pourra être préconisé au dirigeant donateur de désigner un mandataire posthume qualifié qui sera chargé d’administrer l’entreprise pour le compte des successeurs.
On l’a vu, la mise en place d’un engagement Dutreil au niveau d’une holding requiert une certaine vigilance de la part de l’équipe pluridisciplinaire qui conseillera le(s) donateur(s). Un certain nombre de questions devront être posées afin d’identifier certaines fragilités de l’engagement Dutreil envisagé. Par exemple :
Le donateur détient-il les titres dans une société ou plusieurs sociétés interposées entre lui et la société d’exploitation ?
La holding est-elle une holding pure ou une holding animatrice ?
Dispose-t-on d’éléments de preuve en nombre suffisant pour caractériser l’animation ?
Depuis combien de temps l’activité d’animation a-t-elle débuté ?
Les titres ayant vocation à être transmis sont-ils libres de tout engagement ?
La holding a-t-elle pour projet de céder sa participation dans la filiale opérationnelle ? Si oui, à quel horizon ?
Qui est en mesure d’assurer la fonction de direction et pendant combien de temps ?
Autant de questions, et d’autres encore, auxquelles il faudra pouvoir répondre avant de se lancer dans la rédaction d’un engagement Dutreil assorti à plus ou mois brève échéance d’une donation. Car n’oublions pas que le contentieux en matière de Pacte Dutreil est abondant tant il est vrai que l’administration fiscale surveille, comme le lait sur le feu, la stricte application de ce dispositif particulièrement avantageux pour le contribuable.